Archives mensuelles : janvier 2012

Faut-il avoir peur de la décroissance?

 La BPI Centre Pompidou organisait le 4 janvier une conférence sur le thème de la Décroissance. Alors que le mot continue à faire peur et que ses partisans restent souvent considérés comme d’étranges et naïfs réactionnaires qui ne connaissent rien à l’économie, voyons d’un peu plus près, à la lumière de ce débat, ce que recouvre ce concept.

Le débat (ré-écoutable en intégralité ici) rassemblait Fabrice Flipo (philosophe), Florence Jany-Catrice (économiste), Claudia Senik (économiste) et Michel Lulek (membre du Réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires- R.E.P.A.S). Il était animé par Eric Dupin, journaliste et chroniqueur, qui vient d’écrire un livre qui retrace son « Voyage en France », au cours duquel il a sondé l’état d’esprit général des français face aux évolutions spatiales, économiques et sociales du pays. Plus de précision sur les intervenants ici.

Pour introduire la question Eric Dupin rappelait que la décroissance est déjà en route. L’Insee a calculé que le PIB de France aura chuté au cours du dernier trimestre 2011 et du premier trimestre 2012. Florence Jany-Catrice nous parlera de la pertinence du PIB pour le calcul de la santé économique et du bien-être. Claudia Senik nous explique que si la croissance ne rend pas heureux, la décroissance, elle, pourrait nous rendre malheureux. Fabrice Flipo répond qu’il est possible de sortir d’une conception du progrès basée sur la croissance économique, et Michel Lulek nous fait part de ses expériences concrètes au sein du réseau REPAS qui offre une autre vision du jeu économique et social.

Le PIB indicateur de richesse? Quelle richesse ?

Florence Jany-Catrice

La dénonciation des limites du PIB comme indicateur de richesse est aussi vieille que l’indicateur lui-même. Celui qu’on considère comme le fondateur des comptes nationaux et du revenu intérieur, Simon Kuznet (1905-1985) mettait déjà en garde face au risque de faire du PIB un indicateur du bien-être collectif ou de la somme de bien-être individuels. Malgré cela, la hausse du PIB est progressivement devenue une fin plutôt qu’un moyen.

Le PIB est indicateur qui a ses qualités :

D’abord nous dit la co-auteur de « Les nouveaux indicateurs de richesse», il est une mesure extrêmement synthétique, qui permet, à travers la monnaie, de donner une idée de l’ensemble des productions, pourtant très hétérogènes. Simple à calculer et à utiliser, il a aussi comme avantage non négligeable d’être applicable universellement, et donc de permettre de comparer.

Mais qui comporte aussi de nombreuses limites :

–          Un indicateur périmé ?

Le PIB reste un construit social, qui a émergé dans un contexte particulier; celui de 1929, puis de la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, quand il s’agissait de reconstruire sur une base industrielle et marchande. Aujourd’hui la richesse créée en France est constituée pour environs les deux tiers de services. Le fait que le PIB calcule des volumes plutôt que des valeurs pose de nombreuses difficultés pour l’évaluation de la valeur créée par cette économie de service.

–          Plus égal mieux? Plus pour qui ?

Le PIB calcule les échanges marchands et monétaires quels qu’ils soient. Une marée noire, un incendie, un accident gonfleront le PIB. Par contre, la préservation de l’environnement, de la cohésion sociale, l’amélioration du niveau d’éducation, un soin domestique  ne seront pas pris en compte dans le PIB s’ils ne passent pas par un échange monétaire et marchand. Le PIB est donc a-moral et a-éthique. Autre limite essentielle : le PIB est indifférent à la répartition des richesses. Dans leur rapport sur les Nouveaux indicateurs de richesse, Stigliz, Sen et Fitoussi rappellent que la croissance aux Etats-Unis ne traduit une augmentation de revenu que pour le centil supérieur de la population. Les 99% n’ont pas bénéficié de la croissance.

–          Le PIB est un indicateur de flux, pas de patrimoine

Il ne prend en compte que les FLUX de marchandise et monétaires. La dilapidation du patrimoine culturel, social et environnementale peut passer tout à fait inaperçu aux yeux du PIB.

Face à ces limites, les initiatives pour mettre en place de nouveaux indicateurs ne manquent pas : Indice de Développement Humain, Index de la Planète Heureuse, Produit Interieur Doux … Pourtant, aucun n’est encore parvenu à détrôner le PIB. Le chantier est ouvert.

« La croissance ne rend pas heureux mais la décroissance nous rendrait malheureux »

Claudia Senik

Claudia Senik se dit ne pas être une spécialiste du concept de décroissance, ni en être convaincue.

Elle pose la question si il faut renoncer à la croissance à cause des limites écologiques, ou s’il faut y renoncer car elle de toute façon, elle ne rend pas heureux.

Dans la recherche d’indicateurs alternatifs, on demande aux gens leur ressenti, s’ils se considèrent heureux, satisfaits de leur vie. L’économiste trouve cette démarche intéressante car elle est « démocratique ». C’est le citoyen lui-même qui décide de ce qui le rend heureux, pas un indicateur établi par des technocrates.

Lorsqu’on met en relation le PIB (le revenu) avec le bien être, on constate, en instantané, un lien extrêmement fort entre les deux variables. Sur le court terme, le sentiment de bonheur suit clairement les fluctuations économiques.  De manière constante, partout, les plus riches se disent plus heureux que les pauvres (toutes choses égales par ailleurs). Mais à partir d’un certain niveau de revenu, l’effet d’une hausse de celui-ci a un effet de plus en plus faible sur la hausse du bonheur.

Surtout, Richard Easterlin a établit le paradoxe qui est que, sur le long terme, en tendance, le bonheur déclaré par les gens ne suit pas le PIB. Au Etats-Unis, alors que entre 1970 et aujourd’hui, le PIB a été multiplié par deux, le bonheur, en tendance, n’a pas bougé. Conclusion : sur le court terme, le bonheur suit le PIB, mais pas sur le long terme. Easterlin conclut que la croissance ne rend pas heureux. Claudia Senik estime que la question reste posée.

Elle explique le paradoxe d’Easterlin par deux phénomènes : le premier est que la richesse, et le sentiment de bonheur qui y est lié est relatif. Il proviendra surtout d’une comparaison avec ce qui nous entoure et en premier avec son voisin ou son collègue. Le deuxième élément fondamental, c’est l’habitude, l’adaptation. Le bonheur est relatif à ce que à quoi les individus s’attendent. Une fois obtenu l’objet ou le confort tant désiré, on s’y habitue et oublie de s’en réjouir. On se mettra à attendre quelque chose de supplémentaire.

En fait, ce qui importe dans le sentiment de bonheur, c’est l’impression ou l’anticipation d’une progression, la perspective.

Ainsi, pour étudier le sentiment de bonheur et son évolution, il faut prendre en compte 3 variables :

–          La comparaison (avec les autres, avec ce que j’avais hier)

–          L’adaptation (ou l’habitude)

–          L’anticipation, la perspective

Or, Claudia Senik craint que la décroissance ait un résultat négatif sur ces trois éléments, et donc qu’elle nous rende malheureux. Ce triptyque n’échapperait donc pas aux modèles alternatifs à celui basé sur la croissance.  Son point de vue est que la décroissance ne permettrait pas forcément de résoudre les questions de « coordination » (de gouvernance internationale) qui existent dans le système actuel. D’autant plus que celui qui continuerait à croître alors que les autres décroissent deviendrait plus puissant. Dans ce cadre, comment accepter de décroître. Conclusion, la décroissance de résoudra rien.

« La croissance n’offre une solution à aucun de nos maux » :

Fabrice Flipo

             L’auteur de « La décroissance en dix questions » nous explique que la croissance ne résoudra aucun des principaux maux de cette planète. Surtout, si on s’imagine que la décroissance ne rend pas heureux, c’est parce qu’on a fondé nos critères sur la croissance.

La notion de décroissance comporte 5 courants :

  1. La thèse écologiste : fondée sur la pensée de personnalités comme A. Gorz,  avec comme logique principale que les ressources écologiques sont limitées, et que donc, forcément, une croissance illimité créera du manque, de plus en plus de manque. Une partie de plus en plus réduite de la population aura accès aux ressources raréfiées. Les inégalités et les besoins se creuseront.
  2. La décroissance est déjà là : Ici, l’idée est simplement de faire constater que, dans tous les secteurs, les rendements commencent à être décroissants. Le pic de pétrole a eu lieu en 2006. L’accès aux ressources naturelles est de plus en plus cher, risqué, polluant… L’économie est déjà au ralenti, mais le PIB ne sait en rendre compte. La décroissance est un phénomène naturel. Elle est inévitable.
  3. Le courant démocratique : ici, on dénonce surtout le fait que la croissance creuse les inégalités, de manière de plus en plus incontrôlable. Il s’agit de réduire nos besoins de consommation et de relocaliser pour reprendre le pouvoir sur nos vies.
  4. D’autres civilisations sont possibles que celle basée sur la croissance : C’est le courant représenté par Serge Latouche : il est nécessaire de changer de civilisation. D’autres civilisations ont et peuvent exister, qui ne soient pas basées sur la consommation et la prédation.
  5. La « grande pause » : C’est le courant représenté par Pierre Rhabbi, qui a une orientation davantage spiritualiste. Face à la croissance qui ne rend pas heureux, il s’agit de donner libre cours à notre personnalité.

La décroissance est quelque chose de nouveau dans nos sociétés. Pourtant, nous sommes la seule civilisation à avoir comme fondement la croissance matérielle. Une autre civilisation, un autre mode de fonctionnement et de pensée est possible.

« Croître ou conduire, il faut choisir »

Michel Lulek

 Michel Lulek est venu nous parler de son expérience concrète et de celle de ceux qui, dans la même démarche, ont lancé une activité économique basée sur autre chose que la recherche inconditionnelle de croissance. Pour lui, la notion de décroissance est apparue du fait que celle de Développement Durable a été largement surexploitée, sur-récupérée par le marché dominant. Par contre, la notion de décroissance n’est pas récupérable par les gros acteurs économiques et politiques.

Même s’il considère que la décroissance ne constitue pas un modèle en soit, il nous explique de nombreuses initiatives allant dans son sens existent en France. Il ne s’agit pas forcément de décroître mais de remettre la croissance à sa place, de ne pas en faire une priorité absolue. C’est sur cette démarche que se posent le Réseau d’échanges et pratiques alternatives. Deux exemples de démarches parmi ce réseau d’entreprise:

-Une entreprise de textile avait refusé à un entrepreneur japonais une commande qui représentait 50% de leur production. Non pas qu’ils ne faisaient pas confiance à ce client, mais ils risquaient ainsi de perdre la main sur l’organisation de leur production.

– L’entreprise d’exploitation forestière fondée par Michel Lulek, Ambiance bois, a renoncé à l’extension du domaine d’exploitation forestière, pour en préserver l’espace.

Il est donc possible d’envisager d’autres fonctionnements économiques. Les idées majeures étant de garder la main sur le processus de production, d’utiliser les ressources locales, de remettre l’humain au cœur du processus, et de « travailler moins pour vivre plus ».

Et vous, vous en pensez quoi?


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